magharebia.com : Une fatwa condamnant le terrorisme alimente le débat au Maghreb

Publié le par Rumi

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Une fatwa condamnant le terrorisme alimente le débat au Maghreb

2010-03-12

La fatwa de 600 pages récemment publiée par le Dr. Muhammad Tahir Qadri souligne les punitions pour les actes terroristes et condamne les attaques contre des innocents.

Par Sarah Touahri à Rabat, Jamel Arfaoui à Tunis, Mohamed Yahya Ould Abdel Wedoud à Nouakchott pour Magharebia – 12/03/10

[Dan Kitwood/Getty Images] Le Dr. Muhammad Tahir Qadri a publié le 2 mars une fatwa condamnant fermement le terrorisme.

Les réactions des imams du Maghreb et d'autres spécialistes de l'Islam vont du doute à un optimisme prudent à propos d'une fatwa condamnant le terrorisme publiée par un éminent érudit religieux né au Pakistan.

Cette fatwa de 600 pages, publiée à Londres le mardi 2 mars par le Dr. Muhammad Tahir Qadri, affirme que "le feu de l'enfer" attend les kamikazes, et rejette catégoriquement les attaques qui tuent des personnes innocentes.

"Regardez notre déplorable situation aujourd'hui", a expliqué Qadri dans un entretien publié le 5 mars dans le journal londonien al-Sharq al-Awsat. "Des gens sont tués à l'intérieur des mosquées et dans les rues. Ils sont tués dans leur sommeil dans leur lit. Les terroristes font exploser des bombes sur des marchés où sont tués des femmes, des enfants et des personnes âgées. Il n'existe absolument aucune justification à de tels actes."

Qadri, né en 1951 dans la province du Pendjab au Pakistan, est diplômé de l'Université du Pendjab. Maître de conférence en sciences islamiques depuis 1974, il a également travaillé avec plusieurs agences du gouvernement pakistanais, notamment la Cour suprême et le ministère de l'Education.

Nombreux sont ceux au Maghreb à avoir salué cette fatwa de Qadri, qui reprend les opinions de grands érudits ancients et actuels, comme un important pas en avant.

En Mauritanie, Salick Ould Yerbe, l'imam d'une mosquée de Nouadhibou, a déclaré à Magharebia que cette fatwa "est très importante et aura un impact positif, si Dieu le veut, sur l'âme des Musulmans".

Il explique que le contenu de cette fatwa a été expliqué par des érudits mauritaniens "qui ont publié régulièrement des fatwas affirmant que le terrorisme et la violence n'ont pas leur place dans la véritable religion de l'Islam, et que le sort des kamikazes est l'enfer".

Mohamed El Koury Ould Abd El Hay, professeur mauritanien de fiqh, a qualifié cette fatwa "d'argiment décisif et impératif pour ceux qui croient en Dieu et au Jugement dernier. Je pense que son impact sera très fort, en particulier dans notre monde islamique."

"Il ne fait aucun doute que Sheikh Qadri et des gens comme lui... ont reconnu les dommages apportés par le terrorisme à la religion islamique et aux Musulmans à travers le monde", a ajouté ce professeur.

En Tunisie, le professeur Monia Ferjani, spécialiste des mouvements islamistes, a déclaré que "enfin, un érudit musulman s'est avancé et a condamné les attentats suicides, les appelant de leur vrai nom, le 'terrorisme', et publié une fatwa les qualifiant de blasphématoires".

"Nous attendions désespérément une telle fatwa condamnant la violence sous toutes ses formes", ajoute Ferjani.

"L'Islam a toujours appelé au dialogue et rejeté la violence", a pour sa part expliqué à Magharebia Said Bouziri, professeur de théologie à l'Université de Tizi Ouzou en Algérie. "Même si une seule vie est sauvée grâce à cette fatwa, je considérerai cela comme une victoire."

Certains analystes du Maghreb expriment cependant des doutes envers cette fatwa, plus sur sa forme et son efficacité que sur son contenu.

Un expert marocain des mouvements islamistes, Mohamed Darif, a expliqué à Magharebia que les nombreuses écoles de pensée du monde musulman, notamment leurs courants arabes, asiatiques et européenes, ne se sont jamais entendus pour établir des positions communes.

"Ce genre de fatwa, prononcée à Londres, ne peut avoir un impact sur le monde arabe, car les imams ont toujours condamné les actes de terrorisme", a-t-il expliqué à Magharebia.

"Ce fléau ne peut être combattu que par le biais de politiques sécuritaires et de lois répressives", a ajouté cet expert. "Jusqu'à présent, cette politique a porté ses fruits au Maroc".

Abdelbari Zemzemi, imam marocain et membre du parlement, a déclaré que les groupes terroristes ne respectent pas les fatwas lancées par des imams parce que ces extrémistes ont leurs propres références.

"Dans le monde musulman, tous les oulémas dénoncent les actes de terrorisme", explique Zemzemi. "Le rôle des imams est de sensibiliser le public, afin qu'il ne bascule pas dans le fondamentalisme." Et cet imam d'ajouter qu'il est "essentiel" de ne pas mélanger les fondamentalistes avec ceux qui défendent leur propre terres, notamment en Palestine.

"Je suis d'accord avec les raisons qui la sous-tendent", a expliqué l'avocate et intellectuelle féministe tunisienne Bochra Belhadj Hmida à propos de cette fatwa ; ménamoins, elle la rejette "parce qu'une fatwa est un instrument politique que les gouvernements utilisent pour servir leurs intérêts présents."

Ce qu'il faut, poursuit Mme Hmida, "c'est que les gouvernements desserrent l'étau sur les médias et les rendent accessibles aux penseurs de la région, qui sont capables de développer des sociétés, des médias et des arts."

D'autres spécialistes et intellectuels du Maghreb ont un avis partagé sur la fatwa de Qadri, estimant qu'elle comporte à la fois des atouts et des faiblesses.

Le directeur d'Amnesty International en Tunisie, Lotfi Azzouz, qualifie cette fatwa de "valable mais difficile à appliquer, notamment par les jeunes, du fait de leur penchant pour le radicalisme, et très éloigné, dans une certaine mesure, du rationalisme".

Azzouz ajoute que "les institutions islamiques sont des institutions gouvernementales et autoritaires, qui, du fait de leurs intrigues et de leur subordination aux gouvernements, ont perdu leur crédibilité au sein de la population ; même... des fatwas similaires passent inaperçues".


Le secrétaire général du conseil national du Parti Justice et Développement du Maroc, Saaddine Othmani, explique que cette fatwa pourrait bien avoir plus d'impact dans les pays occidentaux, tandis que dans les pays arabes, les conseils des oulémas "se sont toujours dressés contre le terrorisme" par le biais d'analyses religieuses très rigoureuses.

La lutte contre le terrorisme "doivent être menée son seulement sur le front religieux, mais aussi politique, social et économique", ajoute Othmani.

Certains experts expliquent que le message antiterroriste de cette fatwa reprennent des réflexions antérieures d'intellectuels religieux du Maghreb.

"C'est ce que nous répétons sans cesse depuis vingt ans", a déclaré l'ancien ministre algérien des Affaires religieuses, le Dr. Mahieddine Amimour.

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